Comment le pic pétrolier et le chaos climatique nous affectent — le syndrome de stress post-pétrolier
Il vaut la peine de réfléchir aux effets que provoquent sur nous toutes ces prises de conscience sur le pic pétrolier, le chaos climatique et les changements qui nous attendent. Nous avons pu observer comment la prise de conscience du pic pétrolier, en particulier, affecte les gens. Pour certains, il s’agit d’un choc traumatisant alors que d’autres y trouvent la confirmation de ce qu’ils ont toujours soupçonné. Pour la plupart, cependant, l’effet n’est pas aussi tranché. Ils montrent les symptômes de ce que l’on peut appeler le syndrome de stress post-pétrolier. Peut-être en reconnaîtrez-vous certains :
Mains moites, nausée ou légères palpitations
Découvrir la vérité à propos de quelque chose qui sous-tend l’ensemble de notre mode de vie peut causer un choc physiologique profond. Le corps y répond de diverses façons et, pour plusieurs personnes, la première manifestation est un inconfort physique.
Une sensation d’irréalité et de confusion
Plusieurs traditions spirituelles mentionnent « la nuit noire de l’âme », ce passage où apparaît le vide de la réalité et où l’on est forcé d’abandonner la compréhension du monde à laquelle on s’était attaché. Le pic pétrolier et le chaos climatique nous forcent à voir, comme dans un miroir, que la permanence et la réalité de nos vies et de la société qui nous entoure ne sont en fait qu’une illusion fragile qui repose sur un apport continu de pétrole bon marché par de longs canaux d’approvisionnement.
Il est normal de se sentir désorienté après avoir pris conscience de la nature illusoire du monde qui nous entoure. Car, désormais, on ne perçoit plus les informations et les événements de la même façon.
Une foi irrationnelle en des solutions irréalistes
Ah, mais nous nous en sortirons, diront certains, grâce à l’hydrogène ! Ou à l’énergie nucléaire ou à l’énergie gratuite produite par des génératrices prélevées sur des ovnis! On nous raconte même que des centaines de bons diables infatigables ont créé dans leur garage des appareils qui produisent d’énormes quantités d’énergie à partir de rien : malheureusement, non seulement violent-ils allègrement les lois élémentaires de la thermodynamique, mais dès que l’inventeur est prêt à présenter son bidule au monde une compagnie pétrolière en achète les droits, ou pire, et les plans se retrouvent au fond d’un tiroir. À moins que l’appareil miracle n’ait jamais vraiment existé ou fonctionné…
Quoiqu’il en soit, les personnes affectées par ce symptôme croient fermement que la technologie apportera une solution miracle, juste à temps pour nous permettre de continuer à vivre comme avant et de poursuivre la croissance économique à l’infini.
Mais, comme nous l’avons vu dans la première partie, une analyse sérieuse mène à la conclusion qu’aucune technologie ne peut nous permettre de continuer sur notre lancée. Le nucléaire, l’hydrogène, le « charbon propre » et les biocarburants ont tous de graves défauts. Malgré tout, bien des gens préfèrent la pensée magique et se cramponnent à des technologies sans avenir.
Les carburants fossiles ont été une manne énergétique ponctuelle que rien ne peut remplacer. En fait, certains affirment que nous approchons du « Pic de tout » selon le titre d’un livre de Richard Heinberg. La réalité est que toutes les technologies et les appareils dont nous aurons besoin existent et sont déjà en usage. Il suffit de se faire à cette idée plutôt que de fantasmer sur d’imminents miracles technologiques.
La peur
Nous devons être bien conscients, quand nous abordons ces questions, que le sujet effraie bien des gens. Cette peur est réelle. D’ailleurs, on pourrait dire que si vous ne la ressentez pas, c’est que vous n’avez pas encore bien compris… La peur entraînera la paralysie chez certains et la fermeture chez d’autres. Il est crucial de ne pas simplement déverser sur les gens des informations potentiellement terrifiantes : nous devons aussi permettre l’échange d’information et prévoir un espace où les gens pourront digérer ce qu’ils viennent d’apprendre.
Les poussées de nihilisme ou de survivalism
Le pic pétrolier conforte certaines personnes dans leurs idées : « Les gens sont de toute façon profondément égoïstes et puis ça ne sert plus à rien, c’est foutu ».
Par opposition, la réaction des adeptes de la survie (survivalists) consiste à s’accorder à soi-même ainsi qu’aux êtres aimés la priorité absolue : foutons le camp et organisons notre survie et notre défense! Inconcevable dans des pays densément peuplés, cette tentation est particulièrement vivace en Amérique du Nord où l’espace et les armes sont abondants.
Toute réponse appropriée à ces immenses défis implique d’être pleinement chez soi, d’être conscient d’appartenir aux réseaux qui nous entourent et de la nécessité de les entretenir ou de les reconstruire. En somme, c’est l’opposé de l’illusion qui consiste à croire que l’on peut survivre sans eux, à l’écart. La croyance que l’on peut exister et prospérer indépendamment des communautés locales est un douteux « bienfait » de l’âge du pétrole bon marché. Nous devrons réapprendre à nous rencontrer et à nous saluer les uns les autres de même qu’à communiquer et à coopérer.
Le déni
Maintenant que les notions de chaos climatique et de pic pétrolier se propagent dans l’espace public et que les implications de ces phénomènes commencent à se frayer un chemin dans les consciences, il est inévitable que certains choisissent le déni, sous une forme ou une autre. On peut toujours trouver un scientifique ou un vieil article qui affirme, contrairement à la somme écrasante des faits, que l’humanité n’est pour rien dans le chaos climatique. De leur côté, les amateurs de conspirations croient fermement que ces crises sont orchestrées par les puissants de ce monde pour s’enrichir davantage et, au passage, asservir la population mondiale. L’Internet regorge de demi vérités et d’interprétations erronées aptes à nourrir tout processus de déni.
Aucun d’entre nous n’est à l’abri d’un certain degré de déni : notre cœur veut croire, au moins de temps en temps, que la situation n’est pas si grave. Cette réaction, bien que parfaitement naturelle, ne doit cependant pas nous empêcher de regarder la réalité en face et d’agir. Nous devons avoir le déni à l’œil!
Le fol optimisme
En Irlande, à la fin d’une représentation publique du documentaire The End of Suburbia un homme s’exclama : « On vient de nous annoncer que l’ère du pétrole tire à sa fin. Eh bien, le plus tôt sera le mieux ! »
Dans un sens, il avait raison, mais les choses ne sont pas aussi simples. Comme le démontrent des études et des rapports sur le sujet (dont le Rapport Hirsch, Département de l’énergie des États-Unis, 2005) il faudra au moins 10 ans, idéalement 20, pour effectuer la transition vers une économie sans pétrole : ne pas se préparer correctement entraînera des conséquences désastreuses. Une préparation adéquate implique de tempérer l’excès d’optimisme par une perception juste des énormes défis à relever.
Le doigt accusateur
Malheureusement, le chapeau fait à plusieurs d’entre nous. Ceux qui prêchent depuis des années, voire des décennies, en faveur de solutions alternatives en agriculture, construction, transports, éducation, compostage et autres ne peuvent s’empêcher de voir l’arrivée du pic pétrolier comme l’occasion, enfin, d’implanter à grande échelle leurs solutions. On peut difficilement blâmer quelqu’un qui a longtemps prêché dans le désert d’échapper de temps en temps un « Je vous l’avais bien dit! »
Il est clair que pour des activistes bien intentionnés, comme les réalisateurs du film The End of Suburbia, la tentation de danser sur la tombe d’un phénomène qu’ils ont toujours détesté est parfois trop belle.
D’autres, par contre — des groupes fascistes, par exemple — méritent moins de clémence. Les temps de crise ont toujours attiré des opportunistes de tout acabit prêts à capitaliser sur le désarroi des gens pour promouvoir leurs solutions simplistes.
Il faut prendre les « Je vous l’avais bien dit » — y compris les nôtres — avec un grain de sel et une bonne dose de discernement. Au fond, on ne peut refaire le passé : cette affirmation est stérile en plus d’être inutilement culpabilisante pour des personnes qui, on peut le penser, ont simplement essayé de faire de leur mieux.
Pire, une telle attitude peut nous conduire à négliger l’analyse des véritables forces et faiblesses de nos propositions pour faire face à la diminution de l’énergie disponible. Nous devons sérieusement réfléchir aux implications de ce que nous proposons en ne restant pas trop attachés à nos croyances et à nos idées chéries. Nous pourrions découvrir que ce détachement nous conduira à quelque chose de meilleur et de mieux adapté à une culture en transition.