Pourquoi la vision fonctionne

C’est une chose de faire campagne contre le changement climatique et une autre de présenter une vision irrésistible et attachante du monde de l’après carbone, qui insuffle aux autres l’envie de s’y diriger. Nous commençons à peine à explorer le pouvoir d’une vision positive d’un futur abondant : maigre en énergie, riche en temps, moins stressant, plus sain et plus heureux. Il est essentiel de savoir associer des images à la vison précise d’un futur en descente énergétique.

J’aime utiliser l’analogie d’un ami réticent que vous invitez à vous accompagner en vacances. Si vous savez présenter avec passion et poésie l’image mentale de la plage, du coucher de soleil et de la taverne éclairée à la bougie près de la mer, il viendra sans doute plus volontiers. Les écologistes ont souvent commis la faute d’offrir aux gens une image mentale des destinations de vacances les moins désirables – un lit miteux et un petit déjeuner près de Torquay, avec des draps de polyamide, du thé froid et des toasts ramollis – et d’attendre d’eux qu’ils s’enthousiasment à l’idée de ne PAS s’y rendre. La logique et la psychologie sont totalement mauvaises.

Pourquoi les visions fonctionnent

J’ai le sentiment que la création de visions fonctionne de plusieurs façons interdépendantes. Dans ses écrits, Tom Atlee parle de créer ce qu’il appelle un « champ de narration alternatif ». Il s’agit essentiellement de fabriquer des nouveaux mythes et des histoires qui contribuent à formuler les traits d’un monde durable séduisant. Il évoque le pouvoir potentiel d’une réunion d’activistes, d’écrivains et de journalistes, formant des « think-thanks » qui inventeraient les nouvelles histoires pour notre temps. Quand nous commençons à travailler sur la descente énergétique, nous devrions chercher à nous inspirer des romanciers, des poètes, des artistes et des conteurs. Raconter de nouvelles histoires est capital. À Totnes, nous l’avons entrepris avec notre initiative des Histoires de Transition, qui veut amener les gens à écrire des histoires couvrant divers moments de la transition de Totnes, comme des articles de journaux, des nouvelles ou le courrier du cœur. Certaines sont reproduites plus loin dans ce chapitre. De telles histoires peuvent prendre toutes sortes de formes.

L’expérience de la Livre de Totnes, poursuivie jusqu’en juin 2007 par Totnes Ville en Transition (TVT), était également un exemple de cela. Les gens pouvaient tenir en main un billet de banque palpable, élégant et qui pouvait être dépensé. Il racontait une nouvelle histoire sur l’argent, ses possibilités et leur communauté. L’idée de raconter de nouvelles histoire a aussi été évoquée lors du Déchaînement Officiel de TVT en septembre 2006, quand Chris Johnstone a dit :

« Ici, Totnes a la chance d’être fondatrice sur le plan international. Dans 400 ans, peut-être, si l’humanité arrive à s’en tirer, nous nous souviendrons de ce moment du début du XXe siècle comme d’une période cruciale : la dernière décennie de l’Âge du Pétrole. On racontera peut-être des histoires sur ce qui s’est passé à Totnes. Peut être que cette soirée figurera au début de l’une de ces histoires. Si vous regardez vers l’avant dans l’avenir, il y a des potentialités lugubres, mais il y a également des potentialités exaltantes, et vous faites partie d’une potentialité exaltante par votre seule présence ici ce soir. »

L’outil de visioning offre une puissante approche nouvelle aux militants écologistes. Nous avons tellement pris l’habitude de militer contre des choses que nous avons perdu de vue l’endroit où nous voulons aller. Un des meilleurs exemples récents de ceci a été fourni par Lewes Ville en Transition qui, face à un promoteur local qui voulait développer une partie essentielle de la ville, n’a pas répondu avec des manifestations et des pétitions, mais avec une vision – l’article de journal fictif de la page 95.

Un bel exemple de ce qu’Atlee appelle l’«imaginierie» est la création de ce qu’il appelle la Gazette écotopique de la vigne, dont il écrit qu’elle « contient des nouvelles imaginaires concernant des événements ou des innovations qui n’ont pas encore eu lieu, mais dont moi et les autres aimerions qu’ils aient eu lieu, écrites comme s’ils avaient eu lieu. À la fin de chaque article, je place le nom d’un contact que les lecteurs peuvent appeler pour transformer cette histoire en réalité. 

Le physicien et l’auteur Peter Russel compare une vision collective à un attracteur étrange, tel que le décrit la théorie du chaos. En fait, elle engendre devant vous une sorte tourbillon qui vous attire. Elle  possède une énergie, elle est dynamique. Il ajoute :

« Il y a quelque chose de plus profond que je ne peux pas expliquer ; quand il y a une vision, elle ne constitue pas seulement une motivation, mais le psychisme s’engage dans une interaction avec le monde qui facilite la réalisation des choses, qui leur permet de prendre leur place. Je ne peux pas expliquer cela rationnellement, mais c’est quelque chose que les gens remarquent régulièrement. Si vous avez une vision forte de ce que vous faites, c’est comme si le monde voulait soutenir cette vision. Il a vraiment l’air de le faire. »

Ce genre de visualisation a l’effet supplémentaire de combattre le découragement. Le changement climatique et le pic pétrolier peuvent être terrifiants, déroutants ou considérés comme inévitablement catastrophiques. Le dernier livre de James Lovelock, La revanche de Gaïa, dont la couverture de l’édition de poche ressemble à l’affiche d’un film d’horreur des années 50, et des sites internet comme www.dieoff.org présentent des scénarios tellement sinistres que la plupart des gens se déconnectent ; ils n’ont pas envie de s’y engager. Je suis conscient d’appartenir à une infime minorité de gens qui peuvent lire un livre désespérément sombre sur le pic pétrolier et l’effondrement de la société et en retirer l’inspiration et la motivation pour engager une action.

Espèce pourvue de créativité, d’adaptabilité et de pouces opposables qui nous ont d’abord permis de créer un Âge du Pétrole, nous pouvons avoir la certitude que la vie continuera. De même, nous pourrions éviter les pires excès du changement climatique, et les mesures à entreprendre feraient certainement du monde un lieu bien meilleur. cependant, le fait est que notre monde et nos modes de vie sembleront très différents de ce qu’ils sont aujourd’hui. Il ne faut pas oublier qu’une grande quantité d’énergie bon marché est nécessaire pour conserver notre niveau d’inégalité sociale actuel, notre niveau d’obésité, notre niveau record d’endettement, notre utilisation intensive de voitures et nos paysages urbains aliénants. Seule une culture inondée de pétrole bon marché peut se déqualifier aussi massivement que nous, au point que certains jeunes gens que j’ai rencontrés peuvent se considérer chanceux s’ils coupent une tranche de pain sans se blesser un doigt. Il n’est pas exagéré de dire que les Occidentaux d’aujourd’hui sont la génération la plus inutile (en termes d’aptitudes pratiques) que la Terre ait abritée. Pourtant, la première étape dans la création d’un avenir localisé, sobre en énergie et abondant est de visualiser son avènement.

Bien sûr, je ne peux revendiquer l’idée de visualiser le futur comme étant l’appanage de ce livre. Tout au long de l’histoire, l’humanité a créé des visions de ce que le futur pouvait être – vivre dans des stations orbitales, se rendre au travail en volant dans notre soucoupe volante individuelle, partir en vacances sur la lune, par exemple. Ces visions se réalisent rarement, en général parce que nous tenons compte, entre autres choses, de la quantité d’énergie nécessaire pour les rendre possibles. Enfant, je me couchais sur le sol de ma chambre pour lire le magazine Look and Learn, et je me rappelle avoir pensé que les vacances sur la lune feraient partie de ma vie adulte. J’attends toujours, et bien que Richard Branson pense que des vacances dans l’espace soient possibles, je ne retiens pas ma respiration.

(Traduction par Guy Morant, d’après The Transition Handbook, de Rob Hopkins)