Visions d’abondance

Toutes les visions de l’avenir ne sont pas forcément aussi absurdes que celle de Capitaine Futur. Depuis environ un an, je suis devenu ce qu’on pourrait appeler un « moissonneur de visions » avide. J’ai pris l’habitude de demander aux divers penseurs et praticiens de l’écologie que je rencontre quelle est leur vision d’un avenir en descente énergétique. Certains, comme Stephan Harding, l’auteur de Animate Earth, placent au centre de leur vison la réintroduction de la nature sauvage dans nos vies, la nature ayant pu reconquérir de l’espace autour de nous grâce à à la diminution de notre empreinte écologique.

« Je saurais », m’a-t-il dit, « que je peux enfiler mon sac à dos et marcher hors du village (où je vis), traverser la forêt et parcourir la campagne sauvage pendant des jours si je le voulais… Ma vision est celle d’un réseau d’écovillages interconnectés, séparés par des grandes zones de campagne sauvage, mais aussi quelques jolies petites villes où il y aurait des théâtres, de la culture, des musées et des bonnes bibliothèques, des bons cafés et une somptueuse architecture organique. » Les effets psychologiques de cette nouvelle alliance avec Gaïa seraient, affirme-t-il, hautement bénéfiques.

Selon Brian Goodwin, l’auteur de Nature’s Due, dans un futur en descente énergétique, l’humanité devient, comme il l’exprime, « largement invisible », c’est-à-dire qu’elle se confond davantage avec l’environnement naturel et se règle sur lui. « Je ne parle pas d’un retour à la nature comme chez Rousseau, » m’a-t-il dit, « je parle d’utiliser la technique appropriée, de l’énergie et des matériaux naturels pour atteindre un mode de vie qui se fond dans le monde naturel. Nous aurons appris à vivre comme d’autres espèces et nous aurons donc réduit notre empreinte jusqu’à devenir une espèce parmi d’autre plutôt qu’une espèce absolument dominante. »

Le penseur des systèmes Fritjof Capra voit  2030 comme une époque où le principe écologique de la communauté serait devenu le facteur principal de l’organisation sociale. Prendre la nature comme modèle, m’a-t-il affirmé, signifierait que « nous aurions calqué nos communautés… sur les communautés naturelles, ce qui veut dire que l’énergie solaire serait notre source d’énergie principale, en plus du vent, de la biomasse, etc. Nous aurions organisé nos industries et nos systèmes de production de telle manière que la matière accomplisse un cycle continu, que tous les matériaux circulent entre producteurs et consommateurs. Nous produirions notre une alimentation biologique et nous réduirions la distance entre la ferme et la table, par une production essentiellement locale.

« Tout ceci contribuerait à créer un monde où la pollution serait extrêmement réduite, où le changement climatique serait maîtrisé, où il y aurait abondance d’emplois, parce que ces divers projets utiliseraient beaucoup de main d’œuvre, et, par conséquent, il n’y aurait pas de gaspillage et la qualité de la vie augmenterait considérablement. 

Pour Meg Wheatley, l’auteur de Leadership and the New Science, ce genre de visualisation n’est pas difficile, parce qu’elle a identifié les caractéristiques de ce futur et les relations que nous y aurions avec les gens qui nous entourent dans les communautés où elle a déjà séjourné. Elle considère ces dernières comme des lieux « où on a conscience de travailler pour les mêmes valeurs, pour une vision partagée, et de ne pas travailler dans le désaccord. On ne se sent pas polarisé, on ne craint pas les conversations honnêtes et on ne s’isole pas les uns des autres, que ce soit à cause d’un conflit ou seulement parce que je n’ai pas de patience vis à vis de vos opinions et que je les mets pas en perspective par rapport aux idées dominantes. »

Pour Tony Juniper, l’ancien directeur exécutif des Amis de la Terre, le trait distinctif le plus évident de ce futur serait sa tranquillité et le fait que les gens seraient moins pressés. « Il y aurait plus de bruits humains et moins de bruits de machines, » m’a-t-il déclaré, « parce que les communautés seraient reconstitués et qu’il y aurait à nouveau des gens dans la rue, qui se rencontreraient plutôt que d’échanger des insultes à travers les vitres de leurs voitures ! »

Selon la vision de Juniper, on pourrait percevoir l’amélioration de la qualité de vie. « L’air sentirait meilleur, il y aurait moins de pollution, moins de bruit aussi… Il y aurait plus de vélos, plus de chants d’oiseaux parce que la pollution associée à l’agriculture industrielle aurait diminué. Il y aurait plus de techniques biologiques, et les animaux sauvages reviendraient dans les campagnes et dans les villes. »

Quoi qu’il advienne, il est clair que ce qui aura lieu dans les vingt prochaines années est presque inimaginable. Quand j’ai interrogé Dennis Meadows, un des co-auteurs du rapport Halte à la croissance ?, il a dit : « Si vous envisagez la quantité de changements qui se sont déroulés pendant les cent dernières années – sociaux, techniques, culturels, politiques, environnementaux, tous ces changements – il y en a moins que vous n’en verrez pendant les vingt prochaines années. » Ce sont des temps extraordinaires.